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Mon entreprise refuse le télétravail, quels sont mes recours ?

Depuis l’annonce du reconfinement, le gouvernement l’a affirmé sans détour : le recours au télétravail doit être massif et généralisé. Mais si un employeur refuse de mettre en place le travail à distance pour ses salariés, quels recours sont possibles ?

Partout où cela sera possible, le télétravail devra être la règle.” Voici le message du Premier ministre Jean Castex, lors de sa conférence de presse précisant les modalités du reconfinement. Et cela a le mérite d’être clair. Pour tous les salariés pouvant effectuer l’ensemble de leurs tâches à distance, la règle est la même : le télétravail à 100%. Une information qu’avait également explicité Élisabeth Borne, ministre du Travail, jeudi 29 : « le télétravail n’est pas une option, cette obligation sera inscrite dans la nouvelle version du protocole nationale en entreprise ».

Dans certaines situations, il est possible que des entreprises refusent de suivre cette règle alors qu’elles le pourraient. Quels sont les recours possibles pour les salariés ? A qui s’adresser pour faire valoir ses droits au télétravail ? Quelles conséquences pour les employeurs ?

Maître Flavie Hourtolou, avocate au barreau de Versailles et spécialiste en droit du travail nous répond.

Télétravail obligatoire, mais pas pour tous

La ministre du Travail Elisabeth Borne l’a encore martelé au micro de RTL le dimanche 1er novembre : “Le télétravail n’est pas facultatif”. Ceci étant dit, pour beaucoup, télétravailler relève de l’impossible. Comme nous l’explique Maître Flavie Hourtolou. “Tous les emplois ne sont pas télétravaillables y compris dans les métiers « non manuels ». Il faut parfois manipuler du papier car la digitalisation n’est pas optimale dans tous les secteurs et il est aussi parfois indispensable de maintenir du travail en équipe, même réduite”, débute-t-elle.

De plus, même s’il constitue la règle pour les personnes pouvant effectuer toutes leurs tâches à distance, le télétravail n’est pas toujours la solution miracle. « On mesure de plus en plus les limites et risques notamment d’isolement des salariés en télétravail qui, parfois, disposent d’un cadre de travail inadapté. Certains salariés demandent expressément à ne pas être à 100 % en télétravail”, indique l’avocate.

Dans ce contexte, il revient alors à l’employeur de décider de mettre en place le télétravail ou non dans son entreprise. “L’employeur peut donc, aujourd’hui comme hier, décider d’un télétravail total, partiel ou impossible. Il doit s’appuyer sur des éléments objectifs et factuels, ne pas se montrer discriminant et prendre des décisions dans l’intérêt du bon fonctionnement de l’entreprise. Il n’y a pas, à ce jour, de recours des salariés autre que le dialogue avec leur employeur”, confirme notre experte.

Les interlocuteurs à qui s’adresser

Face à l’évolution perpétuelle du discours du gouvernement sur le télétravail, beaucoup se heurtent à l’incompréhension la plus totale. Alors que les membres de l’exécutif continuent d’insister sur l’importance du travail à distance, certains employeurs considèrent qu’il n’est pas applicable dans leur entreprise. Et quand le dialogue avec l’employeur n’a pas porté ses fruits, l’inquiétude de certains salariés grandit. En effet, ils peuvent considérer que les mesures mises en place sur leur lieu de travail sont insuffisantes, et les exposent directement à un risque de contamination.

Dans ce cas, un salarié “peut effectivement et en premier lieu s’adresser au médecin du travail, interlocuteur naturel, ou les membres élus du Comité Social et Économique (CSE)”, signale notre experte. Elle précise que « ce qui sera déterminant c’est de savoir si la sécurité du salarié est assurée ou non sur le lieu de travail car, a contrario, l’employeur s’expose et il reste tenu à de nombreuses obligations de prévention s’il demande à ses salariés travailler sur site. Il devra mettre en place (et en justifier) toutes les mesures destinées à assurer la santé physique de ses salariés : gestes barrière, port du masque, limitation du nombre de personnes présentes, aération des locaux, nettoyage des espaces de travail…”

Les droits des salariés

Une fois tous les recours épuisés, certains salariés ayant échoué à faire valoir leur droit au télétravail pourraient être tentés de ne plus se rendre au bureau. Mais à quels risques s’exposent-ils ? Comme l’affirme notre spécialiste en droit du travail, “un refus du salarié de venir sur son lieu de travail l’expose à un risque de sanction disciplinaire. Le salarié ne peut pas imposer le travail à son employeur sans se mettre en situation d’insubordination.” Pas une bonne idée, donc.

Toutefois, dans des cas bien particuliers, les salariés peuvent s’appuyer sur le Code du travail pour faire valoir leurs droits. D’après notre experte, “la seule exception résulterait de l’exercice justifié de son droit d’alerte et de retrait. En vertu des articles L. 4131-1 et suivants du Code du travail, un travailleur peut se retirer d’une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Il doit avertir l’employeur de cette situation et ne pas créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent.”

Comme le souligne Maître Hourtolou, en cas de carence de l’employeur dans son obligation de sécurité, le salarié pourra mettre en œuvre le droit suivant, comme indiqué sur le site du Ministère du travail, « dans le contexte actuel, dans la mesure où l’employeur a mis en œuvre les dispositions prévues par le Code du travail et les recommandations nationales visant à protéger la santé et à assurer la sécurité de son personnel, qu’il a informé et préparé son personnel, notamment dans le cadre des institutions représentatives du personnel, le droit individuel de retrait ne peut en principe pas trouver à s’exercer. »

Les conséquences pour l’employeur

Interrogée par Europe 1 le 3 novembre, la ministre du Travail a évoqué des possibles sanctions, en cas de non-respect des indications, sans pour autant donner de détails. « On fera une enquête à la fin de la semaine pour mesurer la façon dont ces obligations ont été mises en œuvre », a-t-elle prévenu.

Toutefois, selon notre experte, si un employeur refuse le télétravail à ses salariés, il n’existe à priori, pas d’autorité de contrôle excepté en cas d’intervention des services de santé au travail ou des services d’inspection du travail. En revanche, “le contrôle a posteriori pourra être effectué par un conseil des Prudhommes saisi après un droit de retrait ou une sanction disciplinaire liée à un refus de travailler sur site”, précise-t-elle.

Toutefois, dans le cas où un salarié à qui on a refusé le télétravail contracte le virus de la Covid-19, un employeur pourrait faire face à certaines conséquences. “Si un salarié est atteint de la COVID-19 et qu’il arrive à prouver qu’il a contracté cette maladie au sein de l’entreprise alors que l’employeur aurait manqué à ses obligations de prévention, la responsabilité de l’employeur pourrait alors être engagée. Il faut prouver une faute de l’employeur, un préjudice du salarié et un lien de causalité entre les deux”, conclut notre spécialiste.